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blog up
28 mars 2005

Hier soir, Blog Up a fait pipi dans les toilettes

henry2

Hier soir, Blog Up a fait pipi dans les toilettes de Pierre Henry, à la pause de la dernière de Pierre Henry chez lui, voyage initiatique.
Pour la troisième fois, Pierre Henry ouvrait sa maison/installation au public pour lui jouer en direct un peu de musique concrète. Jadis, les musiciens étaient conviés par les particuliers dans leurs salons pour faire connaître leur musique ; Pierre Henry lui, convie les particuliers dans son salon et toutes les autres pièces de sa maison biscornue.
Dans cette maison, aucun espace ne semble être laissé au hasard : partout des objets/sculptures fabriqués à partir d’autres objets, souvent de récupération (on reconnaît enchevêtrées des nappes d’ordinateurs, des flopées de transistors, de condensateurs, etc.), souvent souvenirs (photos jaunies d’ancêtres coincés), souvent utiles (des couteaux de toutes natures disposés selon une loi inconnue). Partout et même aux chiottes : des éléments hi-fi, des bandes magnétiques dans leurs boîtes en carton plates aux noms mystérieux, codés, des tonnes d’archives : «Liverpool», «Projet Cosmo», «Halles», «Agendas». On se contente de toucher avec les yeux, mais notre probité est mise à mal par la tentation à laquelle nous sommes soumise de connaître le contenu des contenants. On est venus pour écouter une musique singulière entre toutes, dans ce décor singulier entre tous.

Le voyage comporte trois actes :

1/ Visite de la maison pendant que Pierre Henry interprète un prélude, «Sonates d’ondes courtes», l’occasion d’entrevoir le compositeur performer en plein travail dans son antre/studio où l’on compte une douzaine de magnétos analogiques à bande, et pas mal d’appareils numériques. L’homme penché sur une mixette est absorbé par son interprétation, il ne nous voit pas ; il met une énergie qui semble infinie dans des gestes infimes. Tiens, on croyait que c’était un vieux bonhomme : on ne lui donne en tout cas vraiment pas ses 78 ans.
Impossible de parler d’une œuvre vaste comme la voie lactée, désormais connue et reconnue de par son influence sur tout un pan de la musique actuelle. En entrant dans la cour de cette maison à 2 étages, nous sommes bien entrés dans la cour d’un grand.
Rappelons que Pierre Henry et le grand homme de radio puis compositeur Pierre Schaeffer (mort en 1995 et à qui l’œuvre de ce soir est dédiée) ont inventé ensemble à Paris en 1949 la musique concrète, au sein du Club d’essai de Wladimir Porchée.
Leurs premières œuvres seront «Bidules en Ut» (c’est ça : la maison où l’on se trouve est pleine de bidules !) et la fameuse «Symphonie pour un homme seul». Stockhausen, Boulez, Ferrari passeront par ce club, qui deviendra en 1951 GRMC (Groupe de Recherche en Musique Concrète, communément GRM).
Les précurseurs de cette musique s’appellent Varèse, Cage, Messiaen. Les suiveurs, parfois divergents, parfois dissidents s’appellent entre autre Boulez (qui reniera la musique concrète pour s’engager dans la musique sérielle), Xénakis, Stockhausen.
Rappelons rapidement l’argument de la Musique concrète : la musique «habituelle» est d’abord conçue par l’esprit, puis notée théoriquement et enfin réalisée instrumentalement ; la musique concrète est constituée à partir d’éléments préexistants, empruntés à n’importe quel matériau ou objet sonore, qu’il soit bruit ou son musical, puis composée expérimentalement par une construction directe, aboutissant à réaliser une volonté de composition sans le secours, devenu impossible, d’une notation musicale ordinaire. Le matériau de la musique concrète, l’objet, est le son à l’état natif, tel que le fournit la nature, le fixe les machines, le transforme leurs manipulations. Cette musique évolue logiquement au rythme de la technologie (électronique, informatique).
Dans le Que Sais-Je «La Musique Concrète» (n° 1287, signé par Pierre Schaeffer himself aux PUF), on découvre que Pierre Henry était pianiste et surtout virtuose de la batterie ; il s ‘est alors rapidement révélé comme un prospecteur incomparable des possibilités concrètes de ces instruments. Très vite délaissés, ce seront des tourne-disques qui seront exploités en tant qu’instruments, puis les micros et les magnétophones. Plus tard, il s’attaque à la magie de l’électronique avec ses sources de signaux, de bruits, ses potentiomètres, ses modulations de forme, ses correcteurs, ses filtres, ses réverbérations artificielles et autres effets, aux possibilités multiples (voir le morceau de ce soir qui comporte une «Multiplicité») du mixage et des transpositions par changement de vitesse. Les appareils de type «Moog» seront pendant un temps des instruments rêvés.

2/ Choix d’une première pièce pour écouter la première partie de la pièce (Premier apprentissage / Dualité / Incantation / Multiplicité). Chaque pièce de la maison est munie d’enceintes selon une organisation spatiale certainement pas laissée au hasard. Les gens peuvent s’asseoir sur la dizaine de chaises présentes dans chaque pièce. La lumière est tamisée.
L’invitation au Voyage Initiatique est parfois difficile. On se prend à penser à autre chose, on s’emmerde un peu, on regarde les gens le décor : tiens, on dirait qu’il pleut sur le toit de la chambre sous les toits où l’on s’est installés. Oui, mais si c’était un bruit, un son, un objet voulu, intégré, joué dans le morceau ???
Le doute sur ce qui se déroule dans cette maison est en permanence permis : que se passe-t-il réellement dans l’antre, n’est-on pas victime d’une mise en scène magistrale ? Dans quelle mesure l’oeuvre est-elle un tant soi peu improvisée, risquée, jouée différemment des autres jours par son auteur et interprète, le vieux sorcier ?
Parfois des chants ethniques (Afrique, Asie ?) nous font réellement penser à des voyages. Mais si tout ça c’était du flan, un CD dans un lecteur ? Nous déciderons que non, en admettant qu’à un moment une légère modulation de volume n’a pu être commise qu’en temps réel. Mais le vecteur du transport dans ce Voyage Initiatique ne serait-il pas justement ce doute permis ?

3/ Après la fameuse pause, changement de pièce dans la maison (un bureau) pour écouter la deuxième partie de l’œuvre (Hypnose / Cérémonial / Deuxième apprentissage / Unification / Solarisation). Mêmes sensations.
A la sortie, dans le sous-sol de la maison, nous tombons sur Pierre Henry, cheveux et barbe blanche, qui reçoit avec la meilleure grâce du monde les congratulations. Il est content car il estime que ce soir il a donné la meilleure interprétation de cette œuvre (c’est la dernière de «Pierre Henry chez lui 3»). Il semble soulagé mais littéralement vidé de son fluide. C’est juste un vieil homme de 78 ans, voûté, épuisé : on se maudit alors d’avoir douté un seul instant de son honnêteté.
On le questionne alors comme pour se rattraper sur le nombre de bobines d’archives sonores entreposées dans la maison. Le nombre de 3000 cartons de bandes magnétiques nous semble sous-évalué. Soudain se passe quelque chose de peu ordinaire : il semble que l’évocation des archives interpelle Pierre Henry qui soudain (se) demande quel compositeur a joué de son vivant très longtemps. Doit-on comprendre : «est-ce qu’il y a beaucoup de musiciens qui ont composé autant que moi, aussi longtemps» ? Pierre en rit, en sourit …L’avenir le dira.
On apprend en attendant que prochain Pierre Henry rendra dès le week-end prochain une commande pour la commémoration Jules Vernes, puis une autre en septembre à la Cité de la Musique.
Nous partons en remerciant l’hôte pour son hospitalité peu commune.

A ECOUTER : Psyché rock - Apocalypse de Jean - Interieur extérieur - Jericho jerk - Marche du jeune homme - Symphonie pour un homme seul -

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Commentaires
H
Ce soir,7 décembre le film d'Arte dans l'émission Musica, m'a ramenée avec émotion dans l'antre de PH. <br /> Les émotions qui m'en restent,correspondent tout à fait à celles que vous traduisez.C'est formidable!<br /> Jamais, je ne pourrai connaître un contact aussi total,profond, direct,pudique,intime avec un artiste de génie dans son acte créateur. <br /> Je vais conserver votre texte. Merci d'avoir fait ce travail. <br /> Savez-vous s'il existe un endroit où l'on peut voir des reproductions de ses oeuvres plastiques?<br /> Mes recherches sur google images n'ont rien donné.<br /> Bien sincèrement.
F
J'ai des compos qui bien dans l'esprit de la musique concrète mais très différentes de Pierre Henry dans la forme. C'est en écoute sur le site web cité.<br /> <br /> A galon <br /> <br /> PF
M
Nous avons lu ton billet en se souvenant de l'une des soirées passées chez le manitou des sons tordus. Ajoutons un ouvrage intéressant écrit par PH : Journal de mes Sons (récemment réédité).<br /> <br /> Nous sommes en septembre, Le voile d'Orphée va être donné les 27 et 28 à la Cité de la Musique<br /> (http://www.cite-musique.fr/francais/spectacles/_database/S03180.htm)<br /> <br /> Mirabo et Yokolo<br /> [MIRABLOG]
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